Séance 3 du 05/03/2013: Etude du texte de SPINOZA: "Le traité Théologico-Politique"

COMMENTAIRE DU TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE de SPINOZA
Par Nicolas ZELLNER-MACULET

PRÉFACE

« La cause d'où naît la superstition, qui la conserve et l'alimente, est donc la crainte ; » p20 Spinoza cherche à lutter contre la superstition, pour comprendre ce qu'est la véritable piété. Il détermine que la cause de la superstition est la crainte : les hommes, quand ils rencontrent des difficultés, quand ils sont dans une mauvaise passe, cherchent des conseils et écoutent n'importe lesquels. Par contre, quand tout va bien pour eux, ils détestent ceux qui leur donne des conseils. Dans l'Éthique, la crainte est définie comme « une tristesse inconstante, née de l'idée d'une chose future ou passée, dont l'issue est en quelque mesure incertaine pour nous » (partie III, définition des affects à la fin de la partie, XIII). Nous pouvons comprendre que les superstitions sont des idées inadéquates, des fictions, si leur cause est la crainte, puisque celle-ci est une tristesse. Or toute tristesse engendre des idées inadéquates selon Spinoza. Spinoza note aussi dans l'Éthique qu'il n'y a pas d'espoir sans crainte, ni de crainte sans espoir (scolie de cette définition). Il dresse un portrait de l'homme entre espoir et crainte, et explique donc pourquoi les superstitions sont en nombre tellement important parmi les hommes.

A cet état de fait, Spinoza veut remédier par la connaissance des choses, et en particulier par la connaissance de la Bible. Il note dans le traité théologico-politique que les hommes ont tendance à accommoder l'écriture à leurs passions. D'ailleurs, à la page 20 du traité, il a noté que les hommes les plus sujets à la superstition sont ceux « qui désirent sans mesure des biens incertains ». Les hommes pouvant, comme il est dit dans l'Éthique, être contraire les uns aux autres par leurs passions (puisque par exemple deux peuvent vouloir ce qu'un seul peut posséder), les luttes pour l'interprétation de l'Écriture peuvent être violentes et seule la Raison peut instaurer la paix entre les hommes dans ce domaine comme dans tous. En effet, par la Raison, les hommes conviennent nécessairement entre eux (Éthique, partie IV, proposition 35 : « C'est dans la seule mesure où les hommes vivent sous la conduite de la Raison qu'ils s'accordent toujours nécessairement par nature »).

Spinoza fait remarquer que le problème de la superstition est un problème politique : « Quinte-Curce en a fait très justement la remarque (liv. IV, chap.X) nul moyen de gouverner la multitude n'est plus efficace que la superstition .» (p 21) Les hommes y étant sujets de nature, à notre époque aussi, la superstition existe ; et même si nous croyons en être affranchis, ce pourrait n'être qu'une illusion. Il nous faut traquer dans la société toutes les formes de superstitions. Notons que c'est un ennemi fuyant, toujours changeant : il y a toujours de nouvelles superstitions, et d'ailleurs, la société de consommation ne repose-t-elle pas sur la superstition suivante : le nouvel objet à acheter procurera une joie durable. Alors on l'achète, mais la joie qu'il procure n'est pas durable, et c'est un nouvel objet, non encore possédé, qui va faire office d'objet du désir. Lui non plus ne satisfera pas le désir des êtres humains de s'installer durablement dans la joie, et un nouvel objet fera apparition, et ainsi de suite. La seule façon d'échapper à cet esclavage passionnel est de comprendre que la joie découle de la sagesse, ce à quoi Spinoza veut nous faire accéder.

Nous voyons que Spinoza recommande, pour éviter « les séditions excitées sous couleur de religion », que seuls les actes puissent être punis, et jamais les paroles. Il s'agit là d'une conception du droit très moderne, plus proche de la conception des U.S.A., que de la française. En effet, si les paroles peuvent être punies, il est possible de faire condamner quelqu'un pour ses opinions, et personne, comme le dira Spinoza, ne peut faire qu'il pense autrement qu'il ne pense. L'objet du traité théologico-politique sera donc de démontrer que la liberté de penser et de dire ce que l'on pense ne nuit pas à la sûreté de l'État, ni à la piété, à la véritable religion, et qu'en outre, l'interdire est nuisible à la sûreté de l'État et à la religion.

Spinoza dénonce ensuite le pouvoir dans la religion : le vulgaire accordant sa croyance crédule aux Orateurs d'Église, plutôt qu'à des Docteurs, les plus méchants ont été possédé par « un appétit sans mesure d'exercer les fonctions sacerdotales », « l'amour de propager la foi en Dieu a fait place à une ambition et à une avidité sordides ». La religion qui devrait être un trait d'union entre les hommes donnent lieu à de terribles batailles et à des condamnations sans nombre. Nous voyons ô combien cette problématique est actuelle ! Il n'est donc rien resté « de la Religion même, sauf le culte extérieur, plus semblable à une adulation qu'à une adoration de Dieu par le vulgaire »(p23). Les Orateurs d'Église opposent la foi et la raison, la religion consiste en des mystères absurdes, alors que tout le travail de Spinoza va consister à démontrer qu'il n'y a pas d'opposition entre la Raison qui permet de connaître les choses et la foi qui consiste à appliquer la justice et la charité (l'amour du prochain : « Aimes ton prochain comme toi-même »). Spinoza lutte contre la crédulité, contre l'injonction de ne pas utiliser son entendement en ce qui concerne la connaissance des choses. Dans l'Éthique, il utilisera la Raison pour ouvrir la voie vers la béatitude, mais pour l'instant, dans le traité théologico-politique, il affirme que c'est la religion qui dit ce qu'est la vertu : p25 « l'autorité des prophètes a du poids seulement en ce qui concerne l'usage de la vie et la vertu véritable ; ». L'Éthique ne contredit pas le Traité théologico-politique, mais elle le suit, continuant dans une voie que le traité a ouverte.

Notons que pour Spinoza la « lumière divine » est la même que la lumière naturelle, que la Raison. C'est qu'en effet pour lui, Dieu est « Deus sive natura », « Dieu ou autrement dit la nature ». La Raison est notre façon de connaître Dieu : « Le bien suprême de l'Esprit est la connaissance de Dieu, et la suprême vertu de l'Esprit est de connaître Dieu. »(Éthique, partie IV, proposition 28). C'est dans la mesure où il comprend que l'Esprit est actif. Sinon, il est passif. Spinoza dit (démonstration de cette proposition) : « La vertu absolue de l'Esprit est donc de comprendre ». Lumière divine et lumière naturelle sont une seule et même chose : c'est la lumière de la Raison qui dissipe l'obscurité des idées inadéquates engendrées par les passions. Et plus nous connaissons de choses, plus notre connaissance de Dieu se parfait. Ne sont donc pas inspirés par Dieu ceux qui sèment la discorde parmi les hommes et interdisent l'usage de la Raison, la véritable lumière divine.

Tout ces maux conduise Spinoza à réexaminer l'Écriture en toute liberté d'esprit « et de n'en rien affirmer, de ne rien admettre comme faisant partie de sa doctrine qui ne fût enseignée par elle avec une parfaite clarté. »(p24). Nous voyons que Spinoza, confiant dans la lumière naturelle, pense grâce à elle pouvoir étudier la Bible en toute liberté d'esprit. La lumière naturelle, la Raison, n'a pas à plier devant les soi-disant mystères de la foi. Au contraire, la Raison conduit pour lui à la foi. Il peut grâce à elle former « une méthode pour l'interprétation des livres saints ».

Suit ensuite un résumé du livre.

Enfin, Spinoza met en garde le lecteur, avant qu'il entreprenne la lecture de l'ouvrage : le livre ne s'adresse pas aux non-philosophes. En effet, ils ne peuvent rien y comprendre, car ils ont donné leur adhésion à des préjugés, sous couleur de religion. La philosophie est impuissante à les leur extirper, car ils sont gouvernés par les Passions et non par la Raison. La Raison est en faite chez eux trop faible pour les gouverner, car ils ne conçoivent que peu de chose adéquatement. On voit que pour Spinoza la philosophie ne peut pas tout. Par contre pour les philosophes qui croient que la Raison doit être la servante de la Théologie, ce traité sera très utile car il leur permettra de philosopher plus librement, puisqu'il en finit avec ce préjugé.